Éloge des Peuples Canopées
par Mohammed Taleb

On parle souvent, très souvent, des peuples autochtones comme de peuples « racines ». Certes, le sens varie d'une personne à l'autre, mais j'ai l'intime conviction que, dans une sémiotique écopsychologique, les mots portent ce que j'appelle un « inconscient sémantique », une profondeur que notre inconscient capte lorsque nous les entendons. Dans ma vision, dire peuples « racines », c'est réduire les peuples autochtones aux seules « forces telluriques », aux forces végétales de l'humus, au système racinaire du vivant. Or, les imaginaires de ces peuples sont aussi reliés à des « forces cosmiques », aériennes. Ces peuples peuvent aussi être appelés des « peuples canopées. »
Le terme « racine » évoque une ancrage profond dans la terre, la continuité avec l’humus et les cycles de la nature, celle qui est à nos pieds et sous nos pieds, mais il peut aussi suggérer une fixité, une attache exclusive au sol. À l’inverse, « canopée » ouvre une autre perspective, celle de la connexion avec le ciel, l’air, la lumière, et l’interdépendance entre la terre et l’espace céleste.
Mais ce mot de « racine » porte aussi en lui, à bas bruit, une vision du temps façonnée par la pensée occidentale : celle d’un temps qui marche droit, linéaire, depuis les brumes d’un « avant » primitif vers la clarté supposée d’une modernité rationnelle. Dans ce récit, les peuples autochtones sont souvent relégués aux marges du devenir, figés dans une enfance de l’humanité, écho d’un monde d’avant l’histoire, d’avant le mouvement. Comme si leur présence n’était que mémoire, jamais puissance d’avenir. Cette temporalité-là est une cage subtile, une manière douce d’effacer le présent vif de ces peuples et la fécondité de leurs songes. Mais les peuples canopées, eux, parlent encore au vent, se déplacent dans le temps comme les étoiles dans le ciel, et soufflent à l’oreille du monde que l’histoire n’est pas une ligne, mais une constellation.
Mon approche écopsychologique essaie de mettre en lumière – pour moi-même - la nécessité d’un langage plus englobant, qui ne cantonne pas les peuples autochtones à une seule dimension du vivant. Peut-être faudrait-il penser à une complémentarité entre ces deux images – peuples racines et peuples canopées – pour rendre justice à la complexité de leurs imaginaires et de leurs rapports au monde. En tout cas, pour l’heure, vive les Peuples Canopées et leurs contribution à la dépollution de nos airs, matériels et symboliques.